
Il y a beaucoup de joie compréhensible autour de la victoire surprise de Zohran Mamdani aux primaires démocrates pour la mairie de New York. À l’échelle nationale, les commentateurs libéraux conseillent aux démocrates de « modérer » leurs positions pour retrouver le pouvoir. En pratique, cela revient généralement à conseiller aux candidats libéraux de sacrifier les immigré·es et les personnes trans dans leur quête d’un mandat électoral. Dans ce contexte de triangulation lâche, un candidat socialiste démocrate assumé semble prêt à prendre la tête de la plus grande ville des États-Unis.
Mais il est encore trop tôt pour sabrer le champagne, et pas seulement parce que Mamdani devra encore battre Cuomo et Adams lors des élections générales de cet automne. Je ne critique pas son programme parce que je le trouve insuffisamment radical : un gel des loyers à New York et des bus gratuits me paraissent très bien, et je souhaite sa réussite. Mais à quoi ressemblerait vraiment une réussite ? L’histoire du socialisme électoral aux États-Unis montre clairement ce qui sera exigé de lui — et de nous.
Nous avons déjà vu ce scénario
Dans les décennies qui ont suivi la défaite de la Nouvelle Gauche des années 1960, une vague de politicien·nes quasi-socialistes a effectivement accédé au pouvoir à travers les États-Unis. En 2011, Oakland, en Californie, a élu Jean Quan, ancienne militante étudiante qui avait participé à la grève du Third World Liberation Front, à l’origine des études ethniques. Fille de restaurateur, elle avait risqué sa bourse pour soutenir le boycott du raisin de Delano. Elle avait rejoint l’Asian-American Political Alliance, fondée par Richard Aoki comme pendant panasiatique des Black Panthers. Après ses études, Quan était devenue organisatrice syndicale et avait lutté contre l’expulsion de vieux travailleurs agricoles philippins de l’hôtel International.
De l’autre côté de la baie, San Francisco a élu Ed Lee, lui-même ancien avocat des droits civiques qui a représenté 200 locataires lors de la première grève des loyers dans le quartier chinois et s’est opposé à la démolition de logements ouvriers. Certains ont salué l’émergence d’un « Chicago Rouge » après que six socialistes ont été élus au conseil municipal en 2019. Et avant Eric Adams, le maire de New York était Bill de Blasio, qui avait même été volontaire dans la révolution sandiniste au Nicaragua. Au début des années 1990, la ville était dirigée par David Dinkins, membre déclaré de Democratic Socialists of America. Si une élection municipale suffisait à transformer New York en ville socialiste, elle le serait déjà.
Mais David Dinkins, pour contrer les accusations de laxisme en matière de sécurité, a augmenté les effectifs de la police de 25 %. Après l’élection de Bill de Blasio, celui-ci a rétabli un programme accordant des exonérations fiscales à de nouvelles constructions privées pendant une génération, à condition qu’une minorité des logements soient initialement « abordables » — sans aucune interdiction d’augmenter les loyers par la suite. Ed Lee a accueilli Twitter à San Francisco et supervisé l’une des plus grandes vagues de gentrification et d’inégalités de revenus de toute ville américaine contemporaine. Jean Quan a dirigé la répression violente d’Occupy Oakland, où un vétéran de la guerre en Irak a eu le crâne fracturé par une balle de la police. Malgré leurs engagements progressistes, ces élu·es ont fini par gouverner comme n’importe quel autre politicien capitaliste une fois en poste.
Il y a une bonne raison à cela, et ce n’est pas (seulement) parce que leurs convictions étaient peu sincères. L’intérêt de penser en termes de structures comme le capitalisme, le patriarcat ou la suprématie blanche est de reconnaître l’existence d’un pouvoir structurel indépendant des intentions ou des croyances individuelles. Le problème du capitalisme, ce n’est pas que certains patrons soient particulièrement avides, c’est que le système de propriété privée exige l’exploitation et la pauvreté. Le problème du patriarcat, ce n’est pas que tous les hommes soient mauvais et tous les non-hommes vertueux. Le problème, c’est le système qui garantit richesse, pouvoir et sécurité à un genre au détriment des autres.
Nous devrions penser le pouvoir étatique de la même manière. Il est vrai que certains politiciens sont particulièrement nuisibles, comme certains patrons sont particulièrement infects et certains hommes particulièrement sexistes. Mais il existe des raisons structurelles pour que tous les hommes tirent avantage des privilèges du patriarcat, qu’ils soient ou non personnellement sexistes. De la même manière, il existe des forces structurelles qui poussent les élu·es de gauche à renier leurs engagements, indépendamment de leur sincérité idéologique.
Pour gouverner efficacement et être réélu, tout maire doit éviter la fuite des capitaux, car si les caisses de la ville sont vides, il est impossible de financer son programme. Tout maire doit composer avec les blocs de pouvoir locaux, qui incluent inévitablement des institutions ouvertement réactionnaires comme les syndicats de police ou la chambre de commerce. Tout maire doit conserver le soutien de l’appareil répressif de l’État — les forces de l’ordre — faute de quoi il n’y aura personne pour faire appliquer les lois. Et pour faire adopter des lois, il faut avoir des allié·es au sein du conseil municipal, dont chaque membre a ses propres réseaux d’influence. Cela est vrai qu’on soit un populiste MAGA ou… Zohran Mamdani.
Comme l’écrit Suchitra Vijayan :
Disons que Mamdani gagne — pas seulement les primaires, mais l’élection générale. Il devra encore gouverner une ville, et il héritera d’un NYPD équipé de drones, de systèmes de reconnaissance faciale, de logiciels de police prédictive, et d’un bureau international à Tel-Aviv.
Si Mamdani gagne, cela fera-t-il du NYPD une institution socialiste ? Rikers Island deviendra-t-elle une prison socialiste ? Wall Street hébergera-t-elle une bourse socialiste ? Évidemment que non. Je ne dis pas cela parce que je pense que le changement doit être instantané pour être réel. Mais si nos mouvements se reposent sur leurs lauriers après avoir élu quelqu’un avec un programme progressiste, alors nous garantissons que ce programme ne sera jamais mis en œuvre.
Si vous voulez que des politiques progressistes deviennent réalité, vous devez organiser des mouvements sociaux autonomes et combatifs en dehors de l’État. Une contre-puissance autonome pousse tous les politiciens, de gauche comme de droite, à adopter des politiques moins nocives. Elle offre aux élu·es sympathisant·es une couverture politique pour mettre en œuvre leur programme. Mais cela implique de se mobiliser au-delà des élections et de faire vivre une démocratie au-delà de l’État (un sujet que j’ai développé dans la série Lexicon de l’Institute for Anarchist Studies).
Depuis des décennies, les socialistes électoraux présentent des candidat·es progressistes comme des remèdes miracles aux ravages du capitalisme américain, les font élire, puis dénoncent leur trahison inévitable des communautés opprimées — avant de recommencer avec un nouveau·elle candidat·e. Il est grand temps que nous exigions plus.
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